Un peu plus de « fun » et de « child friendly » s’il-vous-plaît !
J’avais pointé dans un de mes premiers articles la propension plus grande des Américains à intégrer le plaisir à leur vie quotidienne. En effet « have fun » est une expression qu’on y entend tous les jours, plusieurs fois par jour, et pas qu’à la télé et dans les media, mais aussi dans la bouche de tout un chacun.
Cela ne veut bien-sûr pas dire qu’en France on ne s’amuse pas, mais peut-être les temps de vie sont plus cloisonnés de ce côté-ci de l’Atlantique. En effet il me semble qu’en France il y a des temps dédiés mieux délimités : on travaille ou étudie avec sérieux, et on s’amuse en vacances et le WE. On se plonge dans ses dossiers ou dans son travail quel qu’il soit, et on souffle à la pause déjeuner… Il me semble que ces temps ont des frontières bien plus floues aux Etats-Unis : on ne part pas (ou peu) en vacances mais on a beaucoup plus les moyens de s’amuser (surtout l’été) dans sa ville de résidence. On ne s’interrompt pas pour la pause déjeuner mais on affiche une humeur plus joyeuse à chaque instant (réelle ou feinte)
Cette volonté d’introduire le fun dans la vie de tous les jours est à mon avis plus en phase avec le tempérament des enfants et plus adapté à leur bien-être. J’ai également par le passé souligné les mœurs plus « child friendly » des Américains. Et ceci même dans les activités qui leurs sont dédiées.
Le manque de « fun » au quotidien, surtout dans les activités dédiées aux enfants m’est apparu récemment lors de la visite d’une exposition que j’ai visitée avec les classes de mes enfants au Palais des Beaux-Arts de Lille. En effet j’ai assisté deux fois en tant que parent d’élève accompagnant des visites scolaires à l’exposition intitulée « Joie de Vivre » dans le cadre de Lille 3000 Renaissance (programme culturel promu à Lille dans la continuité de « Lille, Capitale Européenne de la Culture » en 2004).
Cette expo au nom plus qu’évocateur avait attisé ma curiosité. J’étais impatiente de voir comment on parle de la joie de vivre à travers les œuvres d’art et en particulier comment on en parle aux enfants. Cette exposition est en effet l’une des plus programmée cette année dans les sorties scolaires. Chacun de mes 3 enfants (4 ans, 7 ans et 10 ans) y a assisté au moins une fois, et pour deux d’entre eux 2 fois (une fois avec l’école et une fois pendant le temps de mercredi en Centre de Loisirs).
La visite était à chaque fois guidée par un(e) guide du Palais des Beaux-Arts. Ainsi au cours de ces deux sorties j’ai pu :
- Bénéficier des explications délivrées par des guides professionnels du Palais des Beaux-Arts et en principe adaptées aux enfants,
- Et vérifier que le discours était à peu près le même à chaque fois, ce qui signifie que les explications qu’on nous a livrées étaient des explications « officielles », voulues et réfléchies par la direction de l’exposition.
Je le dis sans peine, les 2 visites m’ont déçue. En effet ces explications n’avaient rien de ludique. Les guides se sont à chaque fois largement attardés sur les questions techniques (le choix des sujets, la composition des œuvres, les matériaux utilisés, etc.) mais la « joie » ne s’est jamais fait sentir. Pire, les enfants (même les plus jeunes, ceux de 4 ans) étaient régulièrement rappelés à l’ordre pour se tenir tranquille, ne s’assoir qu’aux endroits qu’on leur indiquait, ne même pas toucher les écriteaux explicatifs…
De plus, même si la participation verbale des enfants étaient encouragée (par des questions de type « que pensez-vous de ce tableau, statue, etc. »), les réponses étaient vite recadrées, ne laissant de place à aucune fantaisie. J’ai entendu par exemple avec surprise et gêne la guide recadrer un enfant de 4 ans qui disait voir dans une des statues « une dame en prison » alors qu’apparemment il s’agissait de la représentation d’un saut en l’air d’un enfant jouant à la corde à sauter par des mots tels que « ah bon, tu vois une prison toi ? C’est bizarre, il n’y a pas de prison. Je ne me sens pas en prison quand je viens travailler ! »
Il y avait aussi une mise à distance quasi déprimante avec certaines œuvres. Par exemple devant une photo intitulée “Family Picnic” la guide a dit “vous voyez, il y a trop de nourriture sur la table, c’est du gâchis … L’artiste a voulu montrer que notre société de consommation va à la dérive et d’ailleurs, le château en arrière-plan est penché, comme un bateau qui va sombrer” !
Le dépliant de l’exposition indique en gras « La joie de vivre n’est pas la béatitude, ni la sagesse, et n’en a que faire. C’est la joie la plus simple, la plus pure, la plus aérienne… Elle ne cherche pas à durer. Elle ne cherche rien, ni ne trouve. Elle est sans pourquoi, sans raison, sans but. André Comte-Sponville, La Joie de vivre, 2015. »
Quel dommage qu’on ne laisse pas de la place à un peu d’imprévu, un peu de souplesse pour les êtres les plus doués pour la joie de vivre, les enfants !