Le système de santé américain
J’ai passé un an au sein de divers structures et hôpitaux de Baltimore, tous de réputation internationale : Johns Hopkins Hospital, Good Samaritan hospital/MedStar, Kennedy Kriegger Institute. J’ai côtoyé des patients venus non seulement de l’ensemble des Etats-Unis, mais aussi d’autres pays, notamment des patients fortunés des pays du Golfe Persique, accompagnés de leur traducteur.
Certaines unités sont quasiment uniques aux Etats-Unis (et dans le Monde) : il n’y a par exemple que 3 unités STP (Specialized Transition Program) pour des enfants ayant subi un traumatisme crânien ou de la colonne vertébrale très sévère. J’ai ainsi pu observer le fonctionnement des unités d’hospitalisation, les soins ambulatoires à l’hôpital et les consultations en clinique. En tant que psychologue, j’ai surtout été en contact avec d’autres psychologues, mais pas seulement. Le fonctionnement en équipe m’a permis d’avoir une vue privilégiée sur l’ensemble du système.
Le système de santé américain présente bien des particularités qui l’amènent à faire des choix radicalement différents du système de santé français. En voici les différences les plus notables :
HIPAA
Quand on va chez le médecin aux Etats-Unis, on se voit remettre à l’accueil, entre autres choses, et contre signature d’un reçu, une feuille de papier informant le patient de ses droits et devoirs conformément à la loi HIPAA. C’est la partie émergée de l’iceberg. HIPAA (Health Insurance Portability and Accountability Act) est une loi fédérale très importante datant de 1996 qui a beaucoup bouleversé non seulement la pratique de la clinique mais également de la recherche. Cette loi vise à garantir la confidentialité des données privées (notamment informatiques), garantir le droit des individus à demander une copie de leurs informations médicales, les corriger et amender (le cas échéant) et à être informé (a minima) ou sollicité pour donner leur autorisation (en général) pour la diffusion d’informations les concernant. Aucune institution ne peut par exemple communiquer les informations de santé à l’employeur.
Elle définit également les conditions de recrutement de sujets de recherche humains (sujet vivant) ou de réutilisation de données antérieures (sujet vivant ou décédé), la durée de conservation de ces données, la nécessité de soumettre tout projet de recherche à un comité indépendant, la définition et les fondamentaux du consentement éclairé, la protection des personnes mineures ou des personnes vulnérables, etc. Et les universités et CHU que j’ai fréquentés ont tous été intraitables sur la nécessité de passer un cours en ligne très dense (de 10 modules) mutualisé entre tous les centres de recherche (en human research), sanctionné par un examen en ligne avant de toucher, lire et manipuler toute donnée de recherche ou assister à tout acte médical.
Le respect du handicap et de l’égalité des chances face aux disabilities
Aux États-Unis (comme dans d’autres pays de tradition anglo-saxonne) on insiste beaucoup sur le fait qu’un handicap est le résultat de la rencontre d’une personne, d’une tâche et d’un environnement. Du coup c’est aussi à l’environnement (l’équipe soignante mais aussi ensuite l’employeur ou l’école) de s’adapter. Cela se traduit par exemple par la définition de 12 catégories diagnostiques qui donnent droit à l’école à une aide personnalisée pour les enfants avec des special needs mais aussi à un temps supplémentaire aux examens.
Autre exemple frappant : il existe à Washington DC une université dédiée aux sourds et malentendants. Cette université s’appelle Gallaudet (du nom du révérend Gallaudet, inventeur au 19e siècle du langage des signes américain (ASL) largement inspiré du langage des signes français). Elle enseigne différentes disciplines notamment la psychologie. Et elle admet non seulement des malentendants mais aussi des « bien portants » qui voudraient, pour des raisons personnelles ou professionnelles, se spécialiser vis-à-vis de cette population. D’ailleurs à partir de la 3e année une partie des cours est exclusivement dispensée en ASL (American Sign Language).
J’ai aussi passé quelques temps dans une unité appelée DREAM (Deafness Related Evaluation and More) au sein de Kennedy Krigger Institute. Cette unité a la particularité de proposer des tests neuropsychologiques et des soins exclusivement aux enfants sourds et malentendant. Toute l’équipe médicale est issue de Gallaudet University et parle parfaitement l’ASL. Du coup pendant les réunions de service ils parlaient conjointement en ASL et anglais (car il y avait également des sourds et malentendants dans l’équipe), voire exclusivement en ASL. Inutile de dire que j’étais perdue à ces moments-là !
La durée de séjour à l’hôpital
La loi fédérale définit 400 diagnostic groups ou catégories de soin selon lesquels les hôpitaux peuvent se faire facturer. Il s’agit de forfaits de facturation définies pour différentes catégories de pathologie. Les seuils de facturation ainsi fixés par la loi sont bien des seuils, autrement dit l’hôpital ne peut dépasser cette limite. Par contre la durée des soins est laissée à l’appréciation de l’unité de soin. Autrement dit, on peut décider qu’un patient est traité et guéri après x jours, et essayer de minorer la durée de son séjour à l’hôpital. Le système pourrait alors s’avérer rapidement au détriment du patient, car une unité de soin est aussi un centre de profit. Cependant le garde-fou imaginé par la loi est que si un patient, traité et soigné par une unité de soin, revient pour la même pathologie (qui se serait par exemple empirée), alors l’unité de soin a l’obligation de traiter et soigner le patient à nouveau, mais cette fois gratuitement. Ainsi les hôpitaux sont constamment à la recherche de la mince marge de manœuvre qui leur permettrait de dégager une marge financière (concrètement garder un patient le moins de jours possible) tout en évitant son retour pour la même pathologie.
Ce système se traduit concrètement dans les unités de rééducation que j’ai fréquentées par des réunions journalières où on discute des cas des nouveaux patients et des patients à réévaluer ou pour lesquels une décision n’a pas encore été prise. La réunion est animée par une ou 2 case managers qui sont des social workers (à ne pas confondre avec des « assistants sociaux » même si par certains côté ça y ressemble). Il s’agit en fait de personnels de l’hôpital dédiés aux relations avec la famille et l’employeur du patient (le cas échéant), les problèmes administratifs avec les assurances ainsi que des autres unités de soin d’où vient le patient ou vers lesquelles il peut être dirigé ensuite. Dès le 3e jour d’admission du patient l’équipe médicale composée de speech therapists (orthophonistes), physical therapists (kinésithérapeutes), occupational therapists (rééducateurs aux gestes de la vie courante comme s’habiller, monter et descendre les escaliers, etc.), infirmiers, psychologues et médecins prennent chacun la parole pour résumer la situation du patient, ses progrès et ses difficultés et en fonction de ces rapports les case managers proposent une date de sortie. Il y a parfois des discussions parce qu’un des soignants s’oppose à la date de sortie proposée qu’il juge trop rapide et l’avis est généralement respecté. Dans ce cas le case manager propose une autre date ou propose de statuer de nouveau dans 2 ou 3 jours. J’ai été particulièrement impressionnée par la discipline dont chacun fait preuve pendant ces réunions : on ne se coupe pas la parole, chacun attend son tour, et surtout on respecte parfaitement le leadership du case manager. Il y avait d’ailleurs une affiche sur le mur d’une de ces salles de réunion comportant ces recommandations :
Tips for reporting:
Come prepared to speak on identified areas
Only one person speaks at a time
Respect the efforts of the facilitator
No side bar conversations
En moyenne, la durée de séjour à l’hôpital est assez courte (beaucoup plus court qu’en France). Prenons l’exemple d’un patient admis aux urgences et qui subit une opération ou admis après un accident (par exemple un AVC). Il y passe en moyenne une semaine. Ensuite soit il peut rentrer directement chez lui, soit il est admis en unité de réadaptation (ou rehabilitation) où il séjourne en moyenne 15 jours (cela peut aller d’une semaine à un mois). Soit il va en subacute (maisons de repos avec un niveau de soin minimal) malheureusement à vie (son état est stabilisé mais ne sera pas en mesure de repartir chez lui). A l’issue d’un séjour en rééducation, on revient à un des 2 cas précédents (retour à domicile où il peut éventuellement bénéficier d’une aide à domicile mais on compte aussi beaucoup sur la famille) ou départ en maison de repos.
A ce sujet, le retour à domicile est privilégié dès que possible. Un psychologue m’a expliqué que le séjour à l’hôpital coûte extrêmement cher (à cause notamment de la présence des appareils de mesure médicaux) et que très souvent on peut offrir le même niveau de soins avec l’envoi d’une aide à domicile à temps partiel ou même à temps plein.
Les interactions patient / équipe soignante
1e constat : l’ensemble de l’équipe médicale témoigne une extrême gentillesse vis-à-vis des patients : on s’assure systématique de se présenter, de sourire, de regarder le patient dans les yeux, et on ne le quitte pas avant de lui avoir demandé « est-ce qu’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous là maintenant ? ».
2e constat : Dans le système de santé américain où les temps de séjour à l’hôpital sont réduits au minimum, le patient et sa famille ont une place primordiale. En effet, le patient ne pourra sortir et surtout regagner son cadre de vie que s’il est prêt à en relever les défis et s’il est soutenu par ses proches. D’ailleurs préalablement à la sortie du service de réadaptation, une entrevue est requise avec la famille non seulement pour faire le point de la situation du patient, mais également pour montrer à la famille les gestes qu’ils doivent opérer chaque jour pour, en partie, remplir le rôle d’aide soignant. Si le patient a des séquelles et s’il n’est pas soutenu par des membres de sa famille, il est envoyé dans ces maisons de repos qui assurent sa sécurité mais qui sont décrits par l’équipe médicale comme des endroits extrêmement ennuyeux et déprimants…
3e constat : Les patients eux-mêmes m’ont en général surprise par leur attitude positive face aux évènements (souvent très sérieux) et par leurs « stratégies de coping » (autrement dit les stratégies mises en place par chacun pour faire face à des situations indésirables). Le psychologue demande d’ailleurs systématiquement aux patients quelles sont leurs stratégies de coping et les patients sont généralement très positifs et résilients. Les unités hospitalières dans lesquelles j’ai été impliquée traitaient toutes de graves problèmes de santé tels que AVC, traumatisme crânien, blessure de la moelle épinière, cancer, amputation suite à des complications liées au diabète, maladies congénitales, etc. Lors de leurs rounds, les psy demandaient assez facilement aux personnes hospitalisées « comment allez-vous » et assez couramment la réponse était « ça va, je suis dans cette situation mais bon, c’est comme ça. Je suis soutenu et je suis en vie alors ça va ».
4e constat : le patient est censé faire preuve de compliance (notion très américaine), autrement dit il doit être acteur de sa guérison et faire preuve d’une attitude volontaire. J’ai trouvé globalement que les larmes et les plaintes sont moins bien tolérées qu’en France par exemple. De même on n’hésite pas à être très directif avec les patients sous opioïdes (à qui on fait signer un contrat moral pour respecter les doses, pas de prise de drogues illicites, de vente ou de don de ses opioïdes, et des tests sanguins et urinaires réguliers). Dans un autre type de consultation (entretien préalable avant pose de by-pass gastrique) j’ai entendu la psychologue poser des questions très directes sur le passé de la patiente et l’état de son casier judiciaire… quand j’ai posé la question de l’utilité de ces questions (après l’entretien), la psychologue m’a répondu que cela lui permettait de vérifier si la patiente est de type colérique par exemple, ce qui pourrait être un facteur d’échec de la mise en place d’un by-pass… Pour résumer, on pourrait dire que l’équipe médicale est très supportive (haut degré de soutien) mais aussi très intrusive…
De même les abaques utilisées par les psychologues pour les évaluations neuropsychologiques comportent non seulement des indications d’âge, mais aussi de sexe, de niveau d’études et d’ethnicité, là où en France on ne se base que sur des indications sur l’âge.
5e constat : outre la famille, les groupes de pairs et toutes les associations de patients et leurs familles sont très importants et l’équipe médicale leur fait une grande place.
6e constat : ceux qui connaissent bien les États-Unis savent que les Américains sont très préoccupés par l’hygiène des mains. Par exemple un Américain ne tousse jamais dans ses mains (comme c’est usuel en France) : c’est considéré comme salissant pour les mains. On préfère tousser au creux de son coude… Ce souci de la propreté des mains est aussi très poussé à l’hôpital : non seulement il y a un distributeur de mousse désinfectant devant chaque pièce (chambre des patients, salle de réunion, etc.) mais il y a par exemple dans une des cliniques de Johns Hopkins (fréquentée par des patients externes, en ambulatoire) un questionnaire anonyme sur le respect de la propreté des mains par l’équipe soignante.
Statut chercheur / personnel médical
Il est à noter que les personnels médicaux des CHU de Johns Hopkins ne sont pas autorisés à exercer en cabinet privé. Ils sont tous supposés faire de la recherche en plus de leur pratique clinique. Du coup quasiment toute l’équipe médicale est impliquée dans des actions de recherche (la meilleure des formations !) et l’interdiction d’exercer dans le privé est sans doute aussi un gage de leur implication totale au sein de l’hôpital…
Les interactions équipe médicale / Assurances, la tarification
La tarification des actes médicaux parait souvent opaque vue de l’extérieur, en particulier pour les expatriés que nous sommes. La 1e règle que tous remarquent rapidement c’est qu’il n’y a pas deux consultations au même tarif. En effet il n’y a pas de « forfait » ou de consultation calibrée : tout dépend des actes pratiqués. Le médecin code et fait payer tout acte, y compris parfois la paire de gants utilisée…
Mais il y a encore plus complexe : 2 patients ayant subi exactement le même acte médical ne paient pas forcément le même tarif. Le prix payé dépend de l’acte mais aussi de la compagnie d’assurance dont dépend le patient et des négociations préalablement menées entre l’Assurance et le médecin. En effet chaque Assurance négocie avec le ou les médecins qui l’intéressent, ainsi qu’avec les hôpitaux. Tout est donc une question de poids lors des négociations : plus l’Assurance est grosse, plus elle impose ses tarifs. De même plus un médecin ou un hôpital sont côtés, mieux ils peuvent négocier avec les Assurances. La complexité de ce système fait que souvent même en cabinet privé le médecin a en plus d’une secrétaire et d’une infirmière, un(e) comptable à son cabinet. Du coup ses frais de fonctionnement sont élevés ce qui dans un cercle vicieux l’amène à pratiquer des tarifs bien plus élevés qu’en France par exemple.
Enfin, 3e excentricité par rapport à la France : dans certains Etats non seulement les actes pratiqués par le personnel médical ont des tarifs variables, mais même les examens instrumentalisés (tels que IRM, scanner, etc.) pratiqués à l’hôpital n’ont pas le même tarif en fonction de l’Assurance (ce qui n’est pas le cas dans l’Etat du Maryland, imposé par la loi). De même certaines Assurances peuvent rembourser un hôpital mais pas tous les médecins ! (autrement dit si le patient s’est rendu dans l’hôpital agréé mais n’a pas été vigilant sur le praticien, il peut ne pas être complètement remboursé de ses frais).
Par contre tout n’est pas payant : non seulement grâce au gouvernement Obama les plus démunis ont droit à une assurance, mais de nombreux services existent localement. Par exemple à Baltimore City et dans Baltimore County les enfants avec des difficultés (notamment de langage et/ou de motricité) bénéficient de soins gratuits de speech therapy et de physical therapy, et ce dès le plus jeune âge.
Examens pratiqués
Enfin, les Assurances valident et autorisent des soins et des examens diagnostiques d’un niveau bien plus poussé qu’en France (les examens en laboratoires coûteux, les examens instrumentalisées, etc. sont autorisés plus systématiquement et facilement).
En effet comme on l’a vu la durée de séjour à l’hôpital est réduite au strict minimum. Par contre on pratique beaucoup d’examens « instrumentalisés » (de type scanner, IRM, tests neuropsychologiques, etc.) On peut à ce sujet donner l’exemple du traumatisme crânien (ou concussion). Dès qu’un individu a reçu un choc à la tête (à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un enfant), on pratique de nombreux tests (IRM, examens neuropsychologiques…) avec une surveillance dans le temps qui peut être quasi à vie (surtout lorsqu’il s’agit d’un enfant). Sur ce point il y a une grande différence avec la France où on pratique un examen médical relativement sommaire et on recommande une surveillance (de la somnolence, etc.) pendant 24h…
PS : J’ai écrit cet article pour le site www.femmexpat.com, paru vendredi 06 mars 2015.