Traits culturels

Le principe de précaution poussé jusqu’à l’absurde

 

En France il est d’usage de se moquer gentiment des américains et de leur « manie » de se « sue »r (faire des procès) les uns les autres. Je pense que ces critiques sont un peu faciles et pas totalement fondées.




Une de mes collègues racontait il y a quelques temps que le propriétaire de sa maison avait donné son accord verbal pour qu’elle engage des frais pour faire réparer les dégâts que la maison avait subie lors d’une des inondations du mois de mai mais que depuis ce dernier se faisait porter pâle pour rembourser ces frais et faire faire les réparations définitives. Du coup elle avait donné ses 2 semaines de préavis et était partie, et l’avait « sue »é (avait porté plainte contre lui). La dernière fois que je l’ai vue elle avait l’air confiante et sereine quant au déroulement de son action en justice. Je ne connais pas tous les détails de son affaire mais je sais qu’à sa place en France j’aurais beaucoup plus hésité avant de porter plainte. Non pas parce que je n’ai pas confiance en la justice de mon pays, mais en particulier parce que les délais sont si longs, la bureaucratie si intense qu’il faudrait être bien téméraire pour aller devant la justice, à moins d’avoir un avocat bien payé pour vous représenter.


Évidemment le revers de la médaille ce sont tous les abus dont font preuve parfois les américains. Et qui ont amené en particulier les professionnels à mettre en place des stratégies pour se prémunir contre les procès abusifs. C’est par exemple le cas des informed consent forms (formulaires de consentement éclairé) que j’appelle des attestations qu’on vous fait signer dès que vous achetez un « service à la personne ». Que ce soit pour des cours de fitness ou pour des séances d’épilation ou même parfois pour vous faire couper les cheveux (c’est véridique, ça m’est arrivé), on vous fait signer ce genre de papiers :

 

 

 

 

 
 
En général la vue de ces attestations me fait sourire. Les questions sont tellement restrictives que soit vous êtes en parfaite santé ce jour-là (pas le moindre bobo à l’horizon, pas le moindre mal de tête ou de rougeur sur la peau par exemple), soit vous avez un petit truc pas très grave. Dans le 2e cas, soit vous mentez et répondez par la négative à toutes les questions, soit vous êtes parfaitement honnête et je pense qu’à ce moment-là on vous « conseille » de reporter votre RV, à moins que vous insistiez et signiez une décharge ? J’avoue que je ne suis jamais allée jusqu’à cette étape. Le but pour le professionnel étant évidemment de se décharger de toute responsabilité.
 
Par contre depuis une semaine nous sommes pris dans une histoire relative au principe de précaution qui ne m’amuse pas du tout. En effet, j’ai appris vendredi 22 août (2 jours avant la rentrée des classes) que Rec Center (Recreational Center, centres rattachés à l’office des parcs et qui propose aussi des activités sportives à tous et par extension des activités après l’école aux enfants) où sont allés mes enfants après l’école pendant les 6 premiers mois de l’année n’allait plus assurer leur transfert à partir de l’école.
Une petite précision s’impose ici : comme mon mari et moi-même avons toujours travaillé à plein temps, nos enfants
sont des habitués des centres d’activités en France, que ce soit après l’école (16h30-18h15) ou pendant les mercredis.
Généralement ces centres se trouvent à l’intérieur des écoles ou y sont accolés, et le personnel du centre d’activité vient chercher les enfants dans leur classe (pour les plus petits) ou dans la cour de récré (quand ils sont plus grands) après les cours à 16h30. Mais notre Rec Center ici se trouve à 0.4 miles de l’école, soit environ 650m. Alors entendre que le personnel du Rec n’allait plus venir chercher les enfants m’a laissée sans voix. Est-ce qu’on était censé venir faire le transport école/Rec en plein milieu de la journée à 14h25 puis retourner au travail ?
Plusieurs coups de fils affolés plus tard j’ai appris qu’en fait il s’agit d’un problème de liability (responsabilité).
Autrement dit l’office générale des Rec Center a fait le constat qu’ils ne sont pas en conformité avec leurs procédures écrites et qu’ils ne sont donc pas assurés pour assumer le transport des enfants (ce que je peux comprendre), du coup ils ont décidé de tout simplement récupérer les enfants directement au Centre. Et pour finalement faire un geste envers les parents affolés, ils promettent d’attendre les enfants de l’autre côté de la route nationale en face du Centre pour les aider à traverser cette route dangereuse !
De son côté l’école estime qu’après 14h25 sa mission est achevée et ne veut surtout rien avoir à faire avec les enfants, et apparemment a rejeté la proposition du Rec de faire la moitié du chemin pour remettre les enfants dans les mains du staff d’en face… Du coup d’un côté comme de l’autre (aussi bien l’école que le Rec) on nous fait remarquer que cela ne pose aucun problème à la plupart des parents, et les enfants n’ont qu’à faire le chemin en groupe tous ensemble puisque « cela ne fait que 2 blocks à parcourir » ! Il y a même une maman d’une fillette de 12 ans dans le même cas qui m’a gentiment proposé de demander à sa fille de garder un œil sur mes 2 fils de tout juste 6 et 9 ans pendant le trajet ! Mais les laisser faire le trajet même en groupe me parait tout simplement inconcevable.
Pour résumer, le principe de précaution poussé un peu loin (le Rec ne souhaitant plus être responsable de la sécurité des enfants lors du trajet) amène tout le monde à nous proposer tout simplement d’envoyer les enfants seuls faire ces 650m… Les rues sont peut-être plus sures ici qu’en France (ce dont je doute), sinon comment ne pas penser aux enlèvements, mais aussi à un enfant qui marche trop lentement et qui s’égare, voire qui tombe et se casse un membre quand il neigera et il pleuvra ?
J’ai aussi alerté quelques membres du Conseil de Quartier que je connais et qui sont souvent si actifs. Mais ces membres eux-mêmes parents, n’envoient pas leurs enfants au Rec et du coup sont assez indifférents à ce problème.
Community s’arrête finalement aux intérêts particuliers et partisans !
 
 
Pourtant ce même Conseil du Quartier répercutait au mois d’août le décret de la ville de Baltimore qui précise notamment qu’aucun jeune de moins de 14 ans n’a le droit de se trouver dehors non accompagné après 21h :
 
 
 
 
 
De même à la télé, juste avant le journal local de 22h, il y a un spot qui dit « il est 22h. Parents, où se trouvent vos enfants?»!!
 
Il me semble qu’on ne peut pas s’indigner de la présence d’enfants le soir dans les rues et trouver normal qu’ils partent de l’école seuls l’après-midi pour se diriger 0.4 miles plus loin vers le Rec.
 

 

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