Les questions que je me pose en tant que mère expatriée
Ces derniers jours, à l’occasion du décès de Charles Aznavour, les médias ont beaucoup parlé de son parcours de fils d’immigrés. Et du fait qu’il avait gardé des liens étroits avec l’Arménie tout en proclamant se sentir d’abord français.
Cela fait plusieurs mois que je me pose des questions sur notre parcours d’expatriés et ces questionnement publics m’ont renvoyée à mes propres réflexions.
Je suis une française, née en Iran, de parents iraniens, qui ont immigré en France à mon adolescence. Au début j’ai détesté cette immigration car j’étais arrachée à mes amies et mon environnement (et aussi parce que les conditions économiques de cette immigration avaient été difficiles). Mais j’ai évolué, je me suis « intégrée », j’ai appris à parler français et j’ai appris la culture. Je suis devenue française a l’âge de 22 ans mais j’ai décidé de garder mon prénom iranien. Et lorsque je me suis mariée avec mon mari français d’origine française, nous avons décidé d’adopter un nom commun en accolant tous les 2 nos deux noms de famille, lui français et moi iranien.
Je suis tour à tour étonnée, amusée ou énervée par certaines discussions publiques. Par exemple par ceux qui disent qu’il faut changer son prénom pour s’intégrer. Je ne l’ai sciemment pas fait moi-même et avec mon mari nous avons fait le choix de donner un prénom iranien à 2 de nos enfants. Pourtant je me sens complètement française. Et à chaque fois que j’affirme cela j’ai le sentiment d’être jugée ou récupérée par les uns ou les autres, qui chacun à sa manière ne respecte pas qui je suis.
Aujourd’hui il n’y a aucune allusion historique ou culturelle, aucune plaisanterie familière que je ne comprenne pas en français. La France est le pays où j’ai passé plus des 2/3 de ma vie. Et j’y ai vécu quasiment toute ma vie d’adulte (mis à part les 2 années que j’ai passées aux Etats-Unis). Et je parle en français avec mes enfants.
Pourtant l’Iran fait partie de mon histoire et en partie de mon présent. Mes enfants connaissent un peu le persan, je prépare régulièrement des plats iraniens à la maison, nous écoutons parfois de la musique iranienne, nous fêtons les fêtes iraniennes telles que Norouz, le nouvel an iranien. Et mes parents ne me parlent qu’exclusivement en persan, ce que je ressens comme un acte revendicatif et de rappel aux origines de leur part … Je suis au clair avec mon identité française tintée d’un peu « d’iranitée ».
Mais aujourd’hui en tant que mère je me pose des questions là où je pensais avoir fait le tour du sujet en tant qu’individu : pourrons-nous empêcher nos enfants (surtout les 2 plus jeunes) de parler préférentiellement en anglais et d’avoir du mal avec le français ? Seront-ils capables d’écrire en cursive plutôt qu’en script comme c’est la règle ici ? Sachant que nos emplois du temps sont surchargés comme tout le monde, combien d’heures par semaine devons-nous consacrer à l’écriture et la lecture du français pour qu’ils soient à l’aise ? Nous avons déjà fait le choix de ne parler qu’exclusivement en français à la maison, là où d’autres familles expatriées parlent en anglais ou un mix de leur langue d’origine et de l’anglais. Ce choix ralentit probablement un peu l’acquisition de l’anglais par nos enfants mais nous sommes sûrs de ce choix. Mais il y en a d’autres pour lesquels nous n’avons pas (encore) de parti pris. Et plus tard où vivront-ils ? Si nous revenons en France alors qu’ils sont de jeunes adultes, vont-ils nous suivre ? Vont-ils se mettre en couple avec des américains et devenir américains ? Quel est le point de « non-retour » et d’ailleurs que souhaitons-nous vraiment ? Vais-je un jour m’exprimer comme mes parents qui disent « chez nous on fait ceci ou cela », sous-entendu « chez nous, les iraniens » et essayer de les retenir du côté français ?
Je sais que la réponse à ces questions est très personnelle. Ces questions seraient pour certains sans objet et superflues alors que d’autres ne resteraient pas longtemps à l’étranger de peur de rompre les liens avec leur pays d’origine. Mais pour avoir vécu 2 expatriations/immigrations, je sais qu’on a beau se préparer à tous les aspects logistiques et matériels d’un changement de pays, on omet toujours de considérer le plus important : le fait que nous, les humains, changeons toujours profondément au contact de notre environnement.